Résumé
La question du logement populaire et de son traitement politique opèrent à la manière d’un prisme particulièrement éclairant pour qui cherche à observer les évolutions et les modes de faire qui ont désormais cours au sein des sociétés européennes contemporaines. De façon plus précise, le problème public « logement populaire » entre en résonance avec de multiples questions sociétales qui, une fois mises en musique par des politiques publiques sectorielles, réorientent les modalités du « vivre ensemble » au sein de la cité : corrélation avec les nouvelles formes du marché du travail, traitement des mouvements migratoires (y compris désormais en Europe du sud), vieillissement des populations européennes, retour de la grande pauvreté en milieu urbain, incertitudes sur les modalités d’intervention de la régulation publique, financiarisation du marché immobilier… De ce point de vue, une mise en perspective historique des évolutions du logement populaire est riche d’enseignements.
Au temps de l’Europe industrielle et fordiste, le modèle du logement social de masse opère selon un découplage binaire :
Une Europe industrielle du nord (dont la France) fortement dotée en patrimoines immobiliers sociaux. Avec une minorité de propriétaires occupants.
A l’inverse, une Europe du sud moins industrialisée ( à l’exception des régions du nord de l’Italie) dotée d’un parc locatif social très faible, voir inexistant (Espagne dont Catalogne , sud de l’Italie, Grèce..) et une figure majoritaire, le propriétaire occupant.
Ce modèle industriel du logement social de masse a vécu. C’est la fin des vastes cités-dortoir jouxtant les fabriques industrielles, grandes consommatrices de main d’œuvre. C’est également la fin de la figure centrale du « male bread winner » et du « one size fits all » (une seule taille pour tous). Dès le début des années 80, le capitalisme industriel et marchand abandonne progressivement un mode de production assis sur des firmes fortement centralisées et hiérarchisées. Le capitalisme entre dans une ère nouvelle, un « nouvel esprit » qui repose sur des logiques de réseaux financiarisés, mondialisés et très volatiles. Accompagnant ces transformations radicales liées aux mutations du marché du travail, se profile depuis le début des années 90, un nouveau modèle européen du logement populaire. Du nord au sud de l’Europe, un modèle néo-libéral du logement populaire est en route.
Ce nouveau modèle à forte tonalité néolibérale, se décline selon nous en quatre grandes tendances communes du nord au sud de l’Europe :
désengagement des Etats centraux
montée en puissance des sphères locales
privatisation-marchandisation massive des parcs publics sociaux
transfert au tiers secteur de la prise en charge de la figure du néo-pauvre.
En lieu et place de l’ancienne figure dominante du locataire (privé et public) émergent deux personnages centraux : les néo-propriétaires et les néo-pauvres. Or on peut observer que ce modèle s’élabore alors même que le logement populaire ne relève pas de la compétence autonome des institutions européennes (application du principe de subsidiarité) et se diffuse au sein d’un « Euro-land » vécu comme espace unique de « concurrence libre et non faussée ». Paradoxalement, la commission européenne elle-même observait avant même l’ouverture aux nouveaux membres (2004), qu’un européen sur 6 (soit 60 millions de personnes ou 17% de la population européenne) est confronté à des difficultés cumulées sur un plan financier, de l’emploi et de logement.
Dans le même temps, rompant avec ce modèle néolibéral dominant, des pratiques innovantes émergent en Europe : logement temporaire à Londres, coopératives d’habitants en Italie. Ces dispositifs ne se limitent d’ailleurs pas à n’être que de simples leviers techniques destinés, dans une démarche « problem-solving » (problème/solution), à n’être que des ajustements opportuns entre offre et demande de logements.